Texte de cadrage des JE

La thématique de ces JE s'organise autour de l’axe 1 du projet scientifique de VISA pour la période 2022-2026, relatif à l’usage de la vidéo pour les recherches sur des situations hors de la classe, mais aussi se combine en partie avec des éléments relevant de l’axe 3, qui concerne les enjeux éthiques, méthodologiques et épistémologiques liés à la captation multimodale complexe et à l’analyse instrumentée des données.  

Si les réflexions menées au sein de ViSA ont largement porté sur des situations d’enseignement et d’apprentissage en classes, bornées en un espace-temps, renforcées par des règles institutionnelles, comme archétype de l’espace-temps didactique propre à la forme scolaire (axe 1 de VISA), il apparaît pertinent de les ouvrir à d’autres possibles, notamment en visant l’analyse de situations d’enseignement-formation-apprentissage hors de la classe (sortie géologique dans la nature, ateliers, visites en entreprise ou au musée, tutorat en entreprise, projets d’éducation artistique et culturelle, etc.) ou même hors de la forme scolaire. Sortir de la forme scolaire (Vincent, 1994 ; Monjo, 1998) peut être l’occasion de s’intéresser à des dispositifs de formation combinant plusieurs situations formatives successives se déroulant dans différents lieux et en différents temps, tels les dispositifs de formation en alternance (Geay, 1998 ; Gérard, Munoz & Rousseau, 2013 ; Veillard, 2017), ou basés sur les AFEST (Action de formation en situation de travail), ou encore visant à rendre le travail formatif ou à repérer les situations de travail formatives en vue de favoriser le développement (Mayen, 2012 ; Mayen & Gagneur, 2017).

Ce changement dans l’espace-temps entraîne un questionnement méthodologique, avec des arrières plans éthiques et épistémologiques.

Sur le plan méthodologique, quand on veut filmer des apprentis ou des stagiaires en situation de travail, ou des élèves en sortie scolaire géologique de cours de biologie ou artistique dans le cadre de projet d’éducation artistique et culturelle, toute une série de problèmes d’ordre méthodologiques et techniques se posent : la question de l’acculturation du chercheur au contexte professionnel avec son lot de problèmes liés à la façon d’accéder aux acteurs, aux demandes de ses derniers, le choix du matériel d’enregistrement (s’agit-il de se munir d’un dispositif léger avec une seule caméra ou d’un dispositif plus lourd avec plusieurs caméras fixes et/ou mobiles, en y couplant des micros, etc.), la façon dont cela peut encombrer les espaces de travail, gêner les acteurs, ou même créer de nouveaux risques, etc., la décision de filmer en continu ou seulement à certains moments, le choix du cadrage (large ou rapproché) ; le recours à différents modes de production de données (notes, entretiens, observations, etc.) et leur articulation ; la spécificité des méthodes d’analyse ; la question de comment ensuite pouvoir présenter les résultats ; etc.

Concernant les arrières plans éthique et épistémologique, il s’agit de discuter par exemple les différences entre les « apprentissages à base de texte » et les « apprentissages à base de situation » (Pastré, 2011, p. 262). Si les apprentissages à base de texte constitueraient selon Pastré un système qui génère une grande quantité d’échec scolaire, en servant plus à sélectionner les élites qu’à apprendre, alors que les apprentissages à base de situation donneraient du sens aux savoirs par le recours à des situation-problème, il s’agit de considérer comment les deux ses combinent dans la formation, proposant des hybridations avec la forme scolaire (Veillard, 2018 ; Métral, Veillard & Masson, 2021). Ce point de vue rejoint d’autres travaux de recherche : construire le problème (Fabre & Vellas, 2006 ; Fabre, 2009, 2011) nécessite un temps didactique particulier (Sensevy, 2019), ainsi qu’une « recontextualisation » du savoir en situation, sans pour autant « dissoudre » les capacités de généralisation que recèle chaque classe de situations (Vergnaud, 1996, 2007, 2008). En nous conviant à repenser le temps didactique Sensevy (2019) restitue, avec Brousseau (1998) et Dewey (1938/1993), toute la durée nécessaire de l’expérience, l’inscrivant dans une « expérimentation patiente », qui laisserait « aux choses le temps de venir à la présence à leur rythme » (Ingold, 2018, p. 56).

Ainsi, questionner la forme scolaire, engendre toute une série de réflexions sur l’espace-temps de l’enseignement ou de la formation, mais aussi sur les apprentissages rendus possibles et les opportunités de développement offertes, ou non. Il s’agit de pouvoir saisir et mettre au jour un espace-temps plus varié et étendu, que celui qui pouvait encore se concevoir en une même unité de temps et de lieu, au sein de la classe. Unité de temps et de lieu d’enseignement et de formation qui a pu également être remise en question du fait de la pandémie, en accélérant parfois la mise en place de nouvelles formes d’espace-temps scolaires et hors scolaires. En contrastant deux formes d’apprentissages, les apprentissages à base de texte et à base de situation, des questions sont posées à l’analyste : Comment observer ? Comment filmer ? Qu’est-ce qui est donné à voir ? Est-ce utile au chercheur ou à l’apprenant (selon différentes catégories d’apprenants), ou encore au formateur ? Comment sont pris en compte les contenus et les modalités d’apprentissage, entre les acteurs et à propos des contenus ?

Ces questions sont couplées à des enjeux éthiques, qui deviennent majeurs dès lors que les modes de recueil et de traitement des données sont multipliés pour saisir la complexité des situations d’enseignement-apprentissage ou de formation-apprentissage hors de la classe, que les acteurs sont en interaction avec de nombreux interactants ou en transactions artefactuelles avec une variété d’éléments matériels ou symboliques quand il s’agit par exemple d’enseignement à distance par visioconférences, ou même à travers l’usage de leur corporéité ou sensibilité par exemple dans le cadre des pratiques d’éducation artistiques et culturelles, quand l’artiste vient dans l’école ou quand les élèves vont dans les lieux de diffusion de la culture. Comment s’adapter aux spécificités propres à chacun de ces lieux, à des temps propres à ces formes scolaires revisitées pour filmer, et ensuite rendre compte des éléments recueillis en vue de leur analyse ? Quelles adaptations en situation s’avèrent nécessaires en fonction des contingences locales, par exemple pour mieux saisir les apprentissages à base de situation ? Comment relier les enregistrements filmiques réalisés dans les différents moments et lieux pour rendre compte d’un apprentissage ou d’un développement sur le temps long ?

Mots clés : Vidéos, méthodologies, enjeux éthique, didactique, anthropologique.

 

Références

Brousseau, G. (1998). Théorie des situations didactiques. Grenoble : La Pensée Sauvage.

Dewey, J. (1938/1993). Logique. La théorie de l’enquête. Paris : PUF.

Douady, R. (1986). Jeux de cadres et dialectique outil-objet. Recherches en Didactique des mathématiques, 7(2), 5–31. https://revue-rdm.com/1986/jeux-de-cadres-et-dialectique/

Fabre, M. & Vellas, E. (2006). Situations de formation et problématisation.  Bruxelles : De Boeck.

Fabre, M. (2009). Philosophie et pédagogie du problème. Paris : Vrin.

Fabre, M. (2011). Éduquer pour un monde problématique. La carte et la boussole. Paris : PUF.

Geay, A. (1998). L’école de l’alternance. Paris : L’Harmattan.

Gérard, C., Munoz, G. & Rousseau, M. (2013) (Coord.). Du paysage au territoire de l'alternance : une intelligence collective à l’œuvre. Paris : L’harmattan.

Ingold, T. (2018). L’Anthropologie comme éducation. Rennes : Presses universitaires de Rennes

Mayen, P. (2012). Les situations professionnelles : un point de vue de didactique professionnelle. Phronesis, 1, 59-67. https://www.erudit.org/fr/revues/phro/2012-v1-n1-phro1825121/1006484ar.pdf

Mayen, P. & Gagneur, C.-A. (2017). Le potentiel d’apprentissage des situations : une perspective pour la conception de formations en situations de travail. Recherche en éducation, 28, 70-83. https://journals.openedition.org/ree/569?file=1

Métral, J.-F., Veillard, L., & Masson, C. (2021). Apprentissage du travail dans des situations hybrides en formation professionnelle. Le cas des techniciens et techniciennes en agro-alimentaire dans un atelier d’école. Education et Socialisation, 62.

Monjo, R. (1998). La "forme scolaire" dans l'épistémologie des sciences de l'éducation. Revue française de pédagogie, 125, 83-93. https://www.persee.fr/docAsPDF/rfp_0556-7807_1998_num_125_1_1109.pdf

Pastré, P. Mayen, P. & Vergnaud, G. (2006). La didactique professionnelle. Revue française de pédagogie, 154, 145-198.

Pastré, P. (2011). La didactique professionnelle : approche anthropologique du développement chez les adultes. Paris : PUF.

Rabardel, P. & Pastré, P. (2005) (Coord.). Modèles du sujet pour la conception : dialectiques activités développement. Toulouse : Octarès.

Sensevy, G. (2019). Forme scolaire et temps didactique. Le Télémaque, 1(1), 93-112. https://doi.org/10.3917/tele.055.0093

Veillard, L. (2017). La formation professionnelle initiale. Apprendre dans l’alternance entre différents contextes. Rennes : PUR.

Veillard, L. (2018). Le rôle des écrits dans l’apprentissage au sein d’un atelier d’école en CAP de maintenance automobile. Revue Francaise de Pedagogie, 203, 91 109.

Vergnaud, G. (1996). Au fond de l’action, la conceptualisation. In Barbier J. M. (dir.). Savoirs théoriques et savoirs d’action. (pp. 275-292). Paris : PUF.

Vergnaud, G. (2007). Représentation et activité : deux concepts associés. Recherche en éducation, 4, 9-22. https://journals.openedition.org/ree/3889

Vergnaud, G. (2008). Culture et conceptualisation, Carrefours de l'éducation, 26, 83-98. https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2008-2-page-83.htm

Vincent, G. (1994). (dir.) L'éducation prisonnière de la forme scolaire. Lyon : PUL.

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